Editions Folio - Date de sortie : 6 septembre 2012 - ISBN 9782070 437443 - 347 pages - Traduction de Marc Saporta
4è de couv'
Miss Stein et moi étions encore bons amis lorsqu'elle fit sa remarque sur la génération perdue.
Elle avait eu des ennuis avec l'allumage de la vieille Ford T qu'elle conduisait, et le jeune homme qui travaillait au garage et s'occupait de sa voiture - un conscrit de 1918 - n'avait pas pu faire le nécessaire, ou n'avait pas voulu réparer en priorité la Ford de Miss Stein. De toute façon, il n'avait pas été sérieux et le patron l'avait sévèrement réprimandé après que Miss Stein eut manifesté son mécontentement.
Le patron avait dit à son employé : " Vous êtes tous une génération perdue. " " C'est ce que vous êtes. C'est ce que vous êtes tous, dit Miss Stein. Vous autres, jeunes gens qui avez fait la guerre, vous êtes tous une génération perdue. "
Mon avis
Roman découvert à l'occasion des attentats du 13 novembre, à la suite desquels le slogan a tourné sur les réseaux sociaux "Paris est une fête". Comme il y a bien longtemps que je n'ai pas lu Hemingway, ce sera chose faite avec ce livre.
Ce livre est une collection de "vignettes parisiennes", des fragments de la vie de Tatie, comme l'appelait sa femme Hadley, dans le Paris des années 20. Bien entendu, ceux qui m'ont le plus intéressée sont ceux qui parlent de l'écriture, mais les sujets sont variés : les courses hippiques à Auteuil et Enghien, marotte de l'auteur pendant un temps, Paris (le jardin du Luxembourg, le quartier où vivait l'auteur, la Seine, les bouquinistes), Gertrude Stein, Ezra Pound, Scott Fitzgerald... La vie d'Hemingway était faite de hauts et de bas financiers à cette époque, mais dès qu'il avait placé quelques "contes" ou articles, il se déplaçait beaucoup. Il y a plusieurs fragments sur les séjours au ski, notamment.
Certains fragments m'ont touchée plus que d'autres, notamment celui sur la faim, son effet sur les sens qu'elle aiguise et son énergie créatrice, mais aussi la manière de la tenir à distance en choisissant de se promener dans Paris sur un itinéraire qui ne passe devant aucune boutique alimentaire ou restaurant, dont les fumets auraient fait saliver.
C'est donc une lecture qui m'a surtout plu pour les passages traitant des réflexions de l'écrivain en devenir sur le processus de création littéraire. La construction en "vignettes" m'a interessée en ce qu'elle donne une photographie de l'univers et de l'entourage de l'écrivain.
Ma note 15
Extraits
*Je pensais (...) "ce qu'il faut c'est écrire une seule phrase vraie. Ecris la phrase la plus vraie que tu connaisses." Ainsi, finalement, j'écrivais une phrase vraie et continuais à partir de là. C'était facile parce qu'il y avait toujours quelque phrase vraie que j'avais lue ou entendue ou que je connaissais. Si je commençais à écrire avec art, ou comme quelqu'un qui annonce ou présente quelque chose, je constatais que je pouvais aussi bien déchirer cette fioriture ou cette arabesque et la jeter au panier et commencer par la première affirmation simple et vraie qui était venue sous ma plume. (p 51)
*Paris était une très vieille ville et nous étions jeunes et rien n'y était simple, ni même la pauvreté, ni la richesse soudaine, ni le clair de lune, ni le bien, ni le mal, ni le souffle d'un être endormi à vos côtés dans le clair de lune. (p 89)
*Quand j'écrivais quelque chose, j'avais besoin de lire après avoir posé la plume. Si vous continuez à penser à ce que vous écrivez, en dehors des heures de travail, vous perdez le fil et vous ne pouvez le ressaisir le lendemain. Il vous faut faire de l'exercice, fatiguer votre corps, et il vous est alors recommandé de faire l'amour avec qui vous aimez. C'est même ce qu'il y a de meilleur. Mais ensuite, quand vous vous sentez vide, il vous faut lire afin de ne pas penser à votre oeuvre et de ne pas vous en préoccuper jusqu'au moment où vous vous remettrez à écrire. J'avais déjà appris à ne jamais assécher le puits de mon inspiration, mais à m'arrêter alors qu'il y avait encore quelque chose au fond, pour laisser la source remplir le réservoir pendant la nuit. (p 99)
*C'était une histoire très simple intitulée Hors de saison, et j'avais volontairement omis d'en raconter la fin, c'est à dire que le vieillard se pendait. Cette omission était due à ma nouvelle théorie, selon laquelle on pouvait omettre n'importe quelle partie d'une histoire, à condition que ce fût délibéré, car l'omission donnait plus de force au récit, et ainsi le lecteur ressentait plus encore qu'il ne comprenait. (p 117)